
Jean-Yves Gras : « en matière de parité, la conviction ne suffit pas »
Jean-Yves Gras fait partie du comité exécutif de la branche services-courrier colis (BSCC) en tant que Directeur Général de Colissimo. Nous l'avons interrogé sur sa vision de la parité.
De quoi procèdent vos convictions sur la parité ?
En matière de parité, la conviction ne suffit pas. Il est fondamental de porter un regard lucide sur la réalité et d’objectiver les faits. Chez Colissimo, nous avions 30% de femmes dans les effectifs, 40% au niveau cadre groupe A et 24% aux niveaux B et C. Et quand j’arrive en janvier 2021, il n’y a aucune femme directrice régionale et aucune femme directrice de PFC.
La tentation immédiate, c’est de se dire « bon, c’est plutôt des métiers d’hommes… ». Mais évidemment, cette explication essentialiste ne résiste pas longtemps, ne serait-ce qu’à la lecture des chiffres de la branche : il y a 52% de femmes dans l’ensemble de la branche courrier, 51% de femmes parmi les facteurs, 27% parmi les directeurs d’établissements. La question que je dois me poser, en tant que dirigeant, c’est : qu’est-ce que je peux faire pour mieux équilibrer les genres à tous les étages de l’organisation ? Qu’est-ce que je peux faire pour attirer des talents féminins qui pourront être des modèles pour d’autres femmes ?
Que faites-vous pour attirer des talents féminins ?
Nous avons un bon vivier de talents féminins, mais les femmes sont majoritaires à des fonctions RH, finance, communication. La majorité des troupes de Colissimo est ailleurs, il nous faut donc des femmes partout où il est possible de faire des parcours. Cela induit d’agir à l’échelle de l’organisation et des personnes qui y prennent les décisions et d’agir en parallèle sur les individus, c’est-à-dire sur les femmes elles-mêmes dont il faut encourager et soutenir l’audace.
Nous avons mis la parité dans notre plan d’action Colissimo 2025 et engagé des actions à deux niveaux : au plan collectif et au plan individuel. Au plan collectif, nous formons l’ensemble du CoDir puis de toute la ligne managériale (au siège comme dans les territoires) aux enjeux de parité, à la prévention des agissements sexistes, à l’impact des stéréotypes et à la réduction des risques de biais. Pour ce qui est des actions individuelles, il s’agit d’offrir un accompagnement spécifique aux femmes que nous avons identifiées pour prendre des postes à responsabilité, ce qui a aussi pour mérite de créer une communauté « talents au féminin », afin de lever leurs éventuels freins et de déployer leur audace. Depuis que nous avons lancé ce plan d’action, nous avons déjà nommé deux femmes à des fonctions de DOT et 3 femmes à la tête de plateformes. Elles ont bien évidemment été choisies pour leurs compétences mais ces décisions montrent qu’en travaillant sur les questions de parité, on trouve des solutions.
De quels freins s’agit-il ?
Il faut aider les femmes, si elles le rencontrent, à faire face au sentiment d’imposture. Il faut aussi que ce qu’elles expriment comme des « freins » soit bien compris comme des perches pour négocier des conditions. Oui, c’est vrai, une femme à qui l’on propose un poste fait plus facilement part de ses préoccupations en termes de conciliation des temps de vie, par exemple ; quand un homme met plus volontiers en tête de son agenda les conditions de rémunération. C’est là que le dirigeant a un rôle à jouer : quand j’ai d’un côté une femme qui hésite à prendre un poste pour des raisons familiales, je dois chercher avec elle ce dont elle aurait besoin pour pouvoir saisir l’opportunité dans de bonnes conditions ; en parallèle, quand j’ai un homme qui se positionne pour prendre un poste, je dois vérifier avec lui que c’est pertinent et soutenable au regard de sa vie personnelle et de ses contraintes familiales.
Je cherche des femmes et des hommes qui vont pouvoir donner le meilleur d’eux-mêmes, et cela sur la durée. La compétence est évidemment le premier des paramètres à prendre en compte pour atteindre cet objectif. Ce n’est cependant pas le seul : il faut aussi que la personne (femme ou homme) trouve sa place et son équilibre dans le poste ; qu’elle n’y épuise pas toutes ses forces en quelques mois ; que ce soit le bon moment dans sa carrière et dans sa vie.
Comment gérez-vous les « frustrations » que l’objectif de parité chez ceux qui y verraient de la discrimination positive ?
Aux hommes comme aux femmes, je dis qu’il n’est pas grave de laisser passer une opportunité quand ce n’est pas le bon moment pour la saisir. Ce qui est important, c’est que lorsque c’est le moment, une femme comme un homme puisse oser se positionner et négocier, avec lucidité sur tout ce que le poste représente d’engagement, cela afin que l’on mette en place les conditions de sa réussite dans la fonction.
Et à nous tous, je dis : méfions-nous du sexisme bienveillant. Chaque fois que l’on surprotège une femme, que l’on veut lui épargner de la pression ou des situations difficiles, on la prive de chances de briser ses propres barrières et on affaiblit l’objectif de parité. Nous devons réaliser la parité avec autant de méthode, de rigueur et d’efforts que n’importe quel projet stratégique. Parce que c’est un enjeu stratégique. Demain, quand je nommerai une femme à un poste de dirigeante, il ne devrait plus être possible de me dire « c’est bien » ; ce devra être juste normal et pertinent au regard de tout ce que l’on sait des liens entre mixité et performance.