
Interview croisée : Élodie Goëssant et Sébastien Richez
ITW croisée avec Élodie Goëssant , docteure en histoire de l’art et chargée de conservation des collections historiques, et Sébastien Richez, docteur en histoire contemporaine et chargé d’analyses stratégiques au comité pour l’histoire de La Poste.
Début 2025, une nouvelle section du parcours permanent a vu le jour au musée de la Poste pour témoigner de l’activité et du rôle joué par les femmes au sein du groupe depuis deux siècles. Un pan de l’histoire jusqu’alors peu connu et réhabilité par Le comité pour l’histoire de La Poste et les historiens qui le composent.
Nous avons rencontré Élodie Goëssant , docteure en histoire de l’art et chargée de conservation des collections historiques, et Sébastien Richez, docteur en histoire contemporaine et chargé d’analyses stratégiques au comité pour l’histoire de La Poste. Entretiens croisés.
Pour la première fois depuis sa réouverture en 2019, le musée de La Poste propose de découvrir, au sein de l’exposition permanente, des pièces d’arts graphiques et des photographies inédites, consacrées à l’histoire de la place des femmes à La Poste.
En quoi la mise en lumière de ces œuvres constitue un évènement en soi ?
Élodie Goëssant : « Ce nouvel accrochage s’inscrit dans une démarche globale qui traverse actuellement l’ensemble de la société. À savoir témoigner de l’importante contribution des femmes à l’essor social et économique du pays, et notamment aux postes. »
Sébastien Richez : « On ne pouvait pas ne pas en parler car c’est un sujet de société qui ne peut plus être ignoré. Encore moins par les institutions culturelles et muséographiques qui sont si imprégnées par le sujet des femmes au travail, comme La poste. C’est crucial pour le récit historique, mais c’est aussi important pour les collaborateurs et collaboratrices de La Poste de se sentir appartenir à une entreprise qui valorise et reconnaît le travail des femmes dans son histoire. »
Que peut-on y découvrir dans cette nouvelle section ?
Sébastien Richez : « Un véritable témoignage de la féminisation du travail aux PTT (Postes, Télégraphes et Téléphones, NDLR) qui est en soit un phénomène assez récent dans une société patriarcale ancienne. À cette époque, ce sont alors les hommes qui dictent les règles et qui les édictent aux femmes, et lorsqu’ils ont besoin d’elles, c’est à leurs conditions à eux. On découvre ainsi la présence progressive des femmes dans l’activité postale depuis l’Ancien Régime, l’accueil des veuves des élites masculines tombées lors de campagnes militaires à la tête des plus petits bureaux de poste du pays. Le remplacement massif des hommes partis au front par des femmes au moment des guerres mondiales et leur renvoi au foyer à l’issu de ces deux guerres… Il faudra attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que le temps de la reconnaissance s’opère et que la mixité s’impose dans les concours administratifs publics à la fin des années 1960. Dans les années 1970, les femmes factrices étaient encore très minoritaires, aujourd’hui elles sont 54% à exercer ce métier. En 50 ans de sociologie pour un métier, c’est énorme. »
Comment ce projet a-t-il vu le jour ?
Sébastien Richez : « C’est tout à la fois un élan porté durant le mandat de l’ancien président Jean-Paul Bailly et sa directrice de cabinet, Dominique Blanchecotte au début du XXIe qui nous a amené en tant que comité pour l’histoire à porter ce sujet. Au début des années 2000, le duo dirigeant a rapidement témoigné de son intérêt pour les origines de la présence féminine dans les services postaux. Mais aussi de son envie de nourrir le sujet par les progrès de la recherche en histoire. Le comité pour l’histoire de La Poste a donc été sollicité en 2004 aux côtés des historiennes spécialistes dans l’histoire du genre au travail Sylvie Schweitzer, puis Peggy Bette pour apporter les principaux pans de ce savoir dans le champ de l’histoire sociale. Ça a été un long cheminement car plusieurs étapes sont essentielles pour aboutir à ce type de projet. Cela nécessite tout d’abord une prise de conscience de la part de l’entreprise dans le traitement du sujet, une conviction et une capacité de cette dernière à nous donner les moyens de travailler. Puis il faut évidemment un temps dédié à la recherche et la production de savoir. »
Elodie Goëssant : « De son côté, le musée a souhaité enrichir sa section consacrée au travail des femmes suite à la redécouverte de plusieurs ensembles patrimoniaux inédits, photographiques notamment. Il a lui aussi dédié du temps à la recherche, puisque Fabienne Maillard (docteure en histoire de l’art et chargée de conservation du fonds photographique et audiovisuel) et moi-même avons réalisé une nouvelle étude approfondie de nos collections par le prisme de l’histoire des femmes. Ceci nous a permis de sélectionner un ensemble cohérent qui entre en résonance avec les recherches historiques conduites par le Comité pour l’Histoire de La Poste. La recherche historique et l’étude patrimoniale se rencontrent ici pour mettre en lumière et proposer au grand public de découvrir un pan essentiel de l’histoire postale, et plus largement de l’histoire sociétale de notre pays. »
Que raconte-il de l’engagement de La Poste ?
Sébastien Richez : « C’est le prolongement d’un engagement porté tout au long de ces deux dernières décennies qui place l’égalité comme véritable enjeu stratégique pour l’entreprise. Cela s’est exprimé au moment où La Poste est devenue actrice et contributrice majeure du Women’s Forum à Deauville (2005-2016) qui promeut la promotion, la responsabilité et le pouvoir managérial des femmes dans l’entreprise. Également lorsqu’elle a reçu en 2006 le label « Egalité » décerné par l’AFNOR et le ministère du Travail qui vient récompenser les efforts faits pour lutter contre les inégalités salariales. Et aujourd’hui dans l’écriture d’un récit collectif. »
Élodie Goëssant : « On y retrouve en effet une volonté postale qui s’inscrit dans un temps long. Comme pour toute entreprise ou administration il y a des moments d’avancées, des moments de recul, mais dans cette perspective il y a quand même une progression positive qui va vers toujours plus d’égalité. Ce travail autour de l’apport des femmes à l’entreprise montre aussi comment celle-ci s’est engagée tôt sur ces questions de l’intégration des personnels féminins. Si les métiers postaux se féminisent progressivement jusqu’à la mixité complète dans les années 1970, cette intégration fut également un grand défi pour l’administration, puis pour l’entreprise. Il fallut à la fois répondre aux demandes justifiées des employées concernant l’égalité salariale et l’accès aux emplois à responsabilité. Mais aussi les accompagner face aux réticences et oppositions des personnels masculins en apaisant les tensions, en fluidifiant, convaincant et rassemblant.
Une politique RH que l’entreprise poursuit toujours au travers de nombreuses initiatives comme la création du réseau Parité Un Une en 2019 qui vise à augmenter la présence des femmes parmi les cadres stratégiques et dirigeants. »