
Valérie Decaux : « irriguer la culture de la mixité partout »
Rencontre avec Valérie Decaux, Directrice générale adjointe en charge des ressources humaines du groupe La Poste
Diriez-vous que l’égalité de genre est un enjeu de performance ou un enjeu de valeurs ?
C’est un enjeu de performance et c’est un enjeu de valeurs.
C’est un enjeu de culture d’entreprise d’autant plus fort dans notre groupe que La Poste est la première entreprise publique à devenir Société à mission. Parmi nos engagements sociétaux (placés au centre du modèle d’entreprise et du plan stratégique « La Poste 2030, engagée pour vous »), il y a notamment l’inclusion. La parité en est l’un des premiers leviers.
Nous voulons irriguer la culture de la mixité partout où l’entreprise est présente : dans tous nos secteurs d’activité, dans tous les territoires, aussi bien en France qu’à l’international.
Nous nous fixons des indicateurs à piloter, comme le taux de femmes aux postes à responsabilité. Aujourd’hui, dans le groupe La Poste, nous comptons 39,5 % de femmes parmi les cadres dirigeants.
Nous sommes proactifs pour attirer les talents féminins sur des postes en tension. C’est dans ce cadre, que parmi d’autres initiatives, nous avons lancé l’école de l’IA et de la data. Nous avons d’emblée affirmé que nous souhaitions que les effectifs de cette école soient paritaires. On nous a dit que ce serait impossible. Nous avons prouvé l’inverse, en y mettant de l’énergie et de la volonté.
L’égalité de genre reste une cause. Il est crucial de trouver des façons d’en parler qui mobilisent l’action et produisent de l’impact. Il ne faut pas laisser les discours sur la parité devenir une petite musique de fond. Il y a urgence à ne pas laisser la lassitude s’installer.
Dans quelle mesure la lecture par les critères extrafinanciers (ESG) peut-elle être pertinente pour relancer des dynamiques d’égalité femmes/hommes ?
La lecture par les critères ESG (Environnementaux, sociaux et de gouvernance) est intéressante car elle positionne le sujet sur le plan de la performance globale qui articule en permanence performance économique, sociale et environnementale. Cette approche vient interroger les modèles d’affaires, les modalités de prise de décision, la place de l’humain dans la chaîne de valeur et bien sûr les enjeux des transformations.
La parité a assurément sa place à prendre dans les enjeux de gouvernance. On sait désormais grâce à de nombreuses études que les instances décisionnaires les plus mixtes sont aussi celles qui prennent les décisions les plus qualitatives… Et cela amène des résultats concrètement convaincants en termes de performance économique et financière (ndlr : voir par exemple la dernière étude Black Rock) ainsi qu’en matière de résilience face aux aléas et aux crises (ndlr : voir par exemple les analyses de Women Equity sur la période post-covid).
Il est également démontré que l’exemplarité d’une entreprise sur les sujets de mixité est un facteur d’engagement pour les salariés (ndlr : voir l’étude ADP Institute de 2023). C’est tout particulièrement vrai pour les nouvelles générations qui, à raison, placent l’équité sous l’angle de l’épanouissement et de la sécurité psychologique. Pour attirer et garder des talents, il est désormais indispensable d’agir réellement pour éliminer les inégalités.
Il est tout à fait rationnel de promouvoir la parité en entreprise. Mais on constate que c’est un vrai changement à ce signal qui ne trompe pas : l’expression de résistances. Par exemple, nous voyons monter le sentiment de certains hommes d’avoir désormais moins de place que les femmes du fait des objectifs de mixité que se fixent les entreprises. C’est un malentendu : les hommes n’ont pas moins de chances, ils ont davantage de compétiteurs.
Voici ma conviction profonde : l’égalité, c’est un sujet d’altérité. Se confronter à l’autre, c’est se donner une chance de progresser, d’élargir sa vision du monde. La confrontation avec la différence n’est pas toujours confortable, cela représente un vrai travail et demande des efforts et de la ténacité. Mais il n’est pas possible de faire exception à ce devoir d’aller vers l’autre quand il s’agit de prendre en compte la moitié de l’humanité ! Il est plus que jamais important de faire de la cause des femmes une question qui concerne réellement tout le monde.
Comment faire en sorte que la cause des femmes soit la cause de tous ?
Notre référentiel inconscient demeure masculin. Nous trouvons « normal » que les hommes soient aux postes à responsabilités, alors qu’en réalité, il est « anormal » que les femmes ne soient pas aussi nombreuses que les hommes à tous les niveaux de l’organisation. Toute notre action en termes de promotion de la parité doit être dirigée vers l’installation de la juste normalité, celle qui correspond au fait que les femmes et les hommes évoluent dans le même monde et doivent y avoir vraiment les mêmes chances.