Laurence Laroche : « il n’y a rien d’irrationnel ni de sacrificiel dans les quotas »

Laurence Laroche est Directrice des Achats du Groupe La Poste. Diplômée des Mines de Paris, elle a mené une première partie de sa carrière dans l’industrie, fondé le réseau féminin de Saint-Gobain et co- fondé le réseau Women in Engineering. Elle livre sans langue de bois sa vision des enjeux de la parité et de l’égalité professionnelle dans les années 2020.

A quel moment de votre parcours avez-vous identifié l’enjeu de l’égalité professionnelle ?

Dès le début de ma carrière, la question était là, mais à l’époque je ne savais pas la décrypter. C’est avec le recul des années que je me suis rendu compte que j’ai été confrontée à des freins en tant que femme. Par exemple, quand à l’aube des années 1990, j’ai voulu aller en usine, je me suis entendu dire « Madame, vous n’y pensez pas ! », « Mais vous venez de vous marier… » ou pire « Les gars, ils ne voudront pas d’une femme comme chef ». Je suis quand même allée en usine, pas en production mais en contrôle de gestion.

Le plus souvent, les freins à la carrière des femmes, ce ne sont pas des barrières érigées en travers de leur volonté, ce sont plutôt des obstacles qu’elles doivent contourner… Cela vous fait perdre du temps et puis, à force de contournements, on n’occupe pas les postes clés qui permettent d’accéder aux promotions. Il faut alors rassembler tout son courage, toutes ses forces pour réduire la distance. Quand je candidate en 2012 pour un poste de directeur industriel chez Saint-Gobain, on me dit « Mais tu n’as jamais été directrice d’usine ! ». C’est la double peine : on m’en a empêché quand l’occasion s’est présentée et maintenant, on me reproche de ne pas l’avoir fait. Je ne me démonte pas et je prends le poste. Mais cela ajoute forcément de la pression.

S’assurer que les femmes et les hommes aient les mêmes chances tout au long du parcours, c’est aussi important que de garantir la parité aux postes à responsabilité. Il en va des conditions et du sentiment de confiance dans lesquelles on prend le poste.

Vous avez créé le premier réseau féminin de Saint-Gobain. Qu’est-ce qui vous convainc que les réseaux sont utiles à faire progresser l’égalité femmes/hommes ?

Je crois vraiment à la puissance des réseaux. Cela permet de passer de l’individuel au collectif : le sexisme, le plafond de verre, le complexe de l’imposteur, ce n’est pas le problème personnel d’une femme, c’est la condition de toutes les femmes et c’est l’affaire de toute l’entreprise, de toute la société. Le premier effet des réseaux est là, dans la prise de conscience des femmes que la question est systémique. C’est déjà un premier pas pour faire évoluer les choses.

Le réseau, c’est ensuite un lieu où l’on peut poser des questions franches : pourquoi les femmes demandent moins souvent des promotions ? Pourquoi elles ne négocient pas leur rémunération ? Moi-même, la première fois que j’ai négocié, j’avais 45 ans ! Cela, vous ne le dites pas à moins d’être entourée d’autres femmes qui disent qu’elles aussi, maintenant qu’on en parle, elles n’ont jamais pensé à négocier ou n’ont pas osé, ou ont eu peur en le faisant, de donner une mauvaise image.

Quelle place pour les hommes dans ces réseaux ? Et dans l’action en faveur de l’égalité, plus généralement ?

La prise de conscience des hommes est clé, si l’on veut avancer. Chaque homme est tenté de dire « Mais moi, je ne suis pas comme ça ». Ils ont besoin de se rendre compte que parfois, quand même, inconsciemment, ils pratiquent le manterrupting, le mansplaining, qu’ils ont des réflexes de sexisme ordinaire… Les inégalités de genre, c’est un système dont les hommes sont bénéficiaires sur de nombreux plans.

On adresse beaucoup le sexisme depuis le point de vue des victimes. On sait par exemple chiffrer le nombre de personnes qui essuient des remarques inappropriées, font face à des comportements déplacés. Il serait intéressant de regarder aussi de plus près d’où viennent ces propos, ces comportements. Ils ne viennent sans doute pas de tous les hommes, mais nous devons tous prendre conscience que dans le quotidien, les actes de sexisme ordinaire ne sont pas seulement l’affaire des personnes qui les subissent mais aussi de celles qui les commettent et de celles qui les tolèrent.

Que répondez-vous à celles et ceux qui se méfient des quotas de dirigeantes ?

Les quotas, c’est une très bonne chose. C’est la seule façon de faire vraiment bouger les lignes. Ça a marché pour les conseils d’administration et ça doit marcher pour la loi Rixain. J’assume un discours de vérité : aujourd’hui, un homme de 50 ans shortlisté pour un job en vue va se confronter au fait qu’à compétences égales, on préfèrera prendre une femme. Cela ne signifie pas qu’il n’y a plus de nominations d’hommes.

Cela signifie deux choses : premièrement, il y a plus de compétiteurs, les hommes ne sont plus seulement entre eux dans la course et quand ils le sont, on fait ce qu’il faut pour que des femmes aussi prennent le départ ; deuxièmement, quand il y a égalité à l’arrivée, l’arbitrage se fait au profit de l’équilibre dans les équipes. Il n’y a rien d’irrationnel là-dedans, il n’y a rien de sacrificiel non plus. C’est plutôt la situation antérieure qui était étrange, quand personne ne trouvait bizarre qu’il n’y ait que des hommes dans les étages supérieurs des organisations.

Quels sont vos espoirs pour l’avenir et pour les nouvelles générations ?

J’espère que l’on va former tous nos enfants, tous nos jeunes, de façon systématique et rigoureuse aux biais de genre. La dernière étude du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes révèle que la jeunesse n’est pas naturellement moins sexiste que les autres générations. Il y a même des indicateurs qui montrent un regain du virilisme chez les jeunes hommes, comme le fait que près d’un quart des moins de 25-34 ans estiment qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter. Du côté des filles, je constate qu’à côté d’une meilleure connaissance du harcèlement ou des violences sexistes, il y a peut-être un peu d’illusions sur le plafond de verre. Il faut leur dire que ce n’est pas fini et qu’elles n’attendent pas d’avoir leur premier enfant pour s’inquiéter de leur progression de carrière au même rythme que les hommes. Qu’elles se débarrassent le plus tôt possible du complexe de l’imposteur, qu’elles négocient leur rémunération, qu’elles ne fassent pas profil bas quand elles se font plus souvent qu’à leur tour couper la parole en réunion !

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