
Pierre-Etienne Bardin : « la diversité ne cause pas de problèmes, elle les résout »
Quand on vous dit « parité », à quoi pensez-vous ?
Le premier réflexe, c’est de penser aux quotas pour équilibrer la part des femmes et des hommes. C’est une nécessité et cela passe par la comptabilisation.
Au mot « parité », je préfère cependant celui de « diversité » qui comprend la mixité de genre, mais donne aussi d’autres perspectives… La diversité permet de penser les effets de la rencontre des points de vue différents. Nous avons besoin d’écosystèmes où interagissent une multitude de cultures, de façons de voir, de façons d’être… En fait, nous avons besoin d’échanges, avant tout. C’est ce qui fait que l’on s’enrichit les uns les autres et que l’on produit du collectif en capacité de générer des réflexions supérieures.
Diriez-vous que la diversité est source de performance ?
Tout dépend de quelle performance on parle. Je pense qu’il faut en revenir à une définition fondamentale de la performance, à savoir la capacité à créer de la valeur. Aujourd’hui, à une époque où tout bouge à une vitesse incroyable, la création de valeur passe par la remise en cause, l’adaptation, l’innovation… Dans ce panorama, la diversité ne peut qu’être un atout. C’est même une nécessité, pour cerner le complexe, pour apporter des réponses nouvelles…
Est-ce que la diversité n’est pas aussi parfois source de tensions ?
Pour ma part, je n’ai jamais perçu la diversité comme générant des tensions ou des difficultés. En réalité, j’ai plutôt vu des dysfonctionnements dans des équipes très polarisées au sein d’écosystèmes fermés. La diversité, ce n’est pas ce qui pose des problèmes, c’est plutôt ce qui les résout.
Ce qui est vrai, c’est que la différence peut inquiéter au premier abord. Lorsque l’on est confronté à ce que l’on ne connait pas, on a des réflexes de méfiance… Mais ces réflexes s’effacent dès lors que l’on apprend à connaître l’autre. L’enjeu de la diversité, c’est de créer un climat favorable à la rencontre et à la connaissance de ce qu’est l’autre… Sans oublier que chaque fois que nous désignons « l’autre » pour soi, nous sommes aussi un « autre » pour lui. Des tensions liées à la diversité peuvent provenir du fait que certains groupes sont habitués à ce qu’on fasse plus d’efforts pour apprendre à les connaître qu’ils n’ont à en faire pour apprendre à connaître les autres. C’est sur ce type de décalages que nous pouvons agir pour fluidifier les relations en diversité. Nous le voyons bien sur la question de l’intergénérationnel : pendant longtemps, les plus seniors attendaient des jeunes qu’ils se plient à leurs codes ; aujourd’hui, nous sommes dans une approche beaucoup moins verticale où les différentes générations voient mieux leur intérêt à un dialogue ouvert, à s’apporter des choses mutuellement.
Quel argument vous parait le plus convaincant pour engager dans la démarche de mixité ?
Nous sommes depuis des millénaires dans une société patriarcale et verticale. Le cadre de fonctionnement de nos sociétés est défini par un certain nombre de dirigeants qui ont peu ou prou le même profil, à commencer par le fait d’être des hommes. Nous ne pouvons pas dire que cela nous a collectivement menés à une situation parfaite. En tout cas, aujourd’hui, nous sommes confrontés à des problèmes économiques, à des questions environnementales, à des défis sanitaires auxquels on ne trouve pas de réponses satisfaisantes. C’est peut-être qu’il est temps de faire autrement !
Osons confier le pouvoir à celles et ceux qui l’ont peu, voire jamais eu. Donnons le pouvoir à la majorité. La majorité, c’est la diversité.
Quelle serait la première étape ?
Faire des quotas dans les ComEx, c’est bien. Mais le plus important, à mes yeux, c’est d’avoir de la diversité sur des postes qui impactent une grande majorité de l’entreprise. Une transformation culturelle, cela passe par le fait de toucher un maximum de monde, au cœur de l’activité.
Et puis, il y a de fausses questions qu’il faut qu’on cesse de se poser. Sur le papier, vous trouverez toujours de bonnes raisons de ne pas nommer quelqu’un à telle ou telle fonction. Osons l’effet Merkel : quand Angela Merkel est devenue chancelière, beaucoup doutaient, une femme dans un environnement patriarcal, venue de l’Allemagne de l’Est dans une politique occidentalo-centrée…. C’est pourtant ce genre de modèles dont nous avons besoin pour sortir des schémas classiques.. Le plus grand risque que nous courrons aujourd’hui, ce n’est pas de nous tromper, c’est de rester inerte. De l’erreur, nous apprenons. Faire de mauvais choix, ce n’est pas si grave. Nettement moins, en tout cas, que de ne pas bouger.
Certains s’inquiètent de ce que l’échec d’une personne « de la diversité » nuise à la cause tout entière des diversités. Que leur répondriez-vous ?
Qu’il ne faut pas lier tous les sujets. Quand une personne échoue, ce n’est pas son sexe, son âge, sa couleur de peau, ses origines qui sont en cause ! Ce peut être un sujet de compétences de la personne, mais il faut aussi interroger les conditions dans lesquelles on l’a choisie et mise en place. Nommer quelqu’un à un poste à responsabilités, ce n’est pas que signer sa lettre de mission. C’est aussi et surtout s’assurer que les conditions sont réunies pour qu’elle puisse réussir. Vous pourrez toujours faire des démonstrations d’échec programmé si vous ne prenez pas vos propres responsabilités en confiant à d’autres des responsabilités.