
Rémi Feredj : « la non-mixité est une anomalie. La mixité devrait être la normalité »
Pour vous, qu’évoque la notion de parité ?
La parité m’évoque la nécessité de légiférer sur une évidence. On a peu avancé depuis les débats des années 2000 au moment de l’introduction dans la Constitution du principe d’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités. J’étais mitigé, au nom de l’universalité inscrite dans la constitution ; mais les évidences sont là : au-delà de cette position intellectuelle, force est de constater la nécessité de corriger les écarts en défaveur des femmes, qui constituent bien une rupture dans ce principe d’universalité.
Comment appréhender le sujet pour dépasser ce paradoxe ?
Il faut considérer ce sujet comme un fait social global. Et avec lucidité. Les inégalités femmes/hommes, c’est une forme d’expression, parmi d’autres, de la violence faite aux femmes. C’est la manifestation d’une exclusion, c’est le signe d’un système qui ne voit pas les femmes, qui ne les prend pas en considération et qui se voile la face en trouvant des problèmes supputés plus importants à régler : il y a toujours toutes sortes de problèmes à régler, mais celui-ci en est un à part entière et chacun doit faire ce qu’il a à faire depuis là où il est, depuis qui il est. En tant que chef d’entreprise, j’ai ma part à faire dans l’entreprise et au niveau de sa gouvernance pour poser ce sujet. En tant qu’homme aussi.
En tant que chef d’entreprise, reprenez-vous à votre compte les résultats des études qui font le lien entre mixité et performance ?
Je pourrais dire oui par conformisme, mais je crois que faire le lien entre mixité et performance, c’est mal poser la question. Il faut d’abord faire le lien entre déficit de mixité et violence. Quand vous entrez dans un CoDir où il n’y a que des hommes, j’estime personnellement que c’est une violence. Ça positionne les femmes en barbares, au sens antique du terme : les barbares sont ceux qui sont de l’autre côté de la frontière, ceux qui ne parlent pas la même langue, ceux qui ne sont pas des nôtres. La non-mixité, c’est de la division, l’exclusion symbolique.
Mais à la division, on ne répond pas par la division ; c’est pourquoi les contingents de femmes, les quotas de personnes de couleur, les membres de telle ou telle religion ou d’individus ayant telle ou telle orientation sexuelle m’insupportent. Cette approche par les critères est source de nouvelles divisions et d’une fragmentation accrue de la société. Ce n’est pas le sujet visé par la parité en entreprise.
Alors, quelle approche préconisez-vous ?
Il faut conjuguer le droit naturel sur le droit positif ! Par droit naturel, j’entends le fait que naturellement, nous sommes autant d’hommes que de femmes sur la planète et que c’est une injustice au sens fort du terme de voir des communautés humaines privées de femmes ou privées d’hommes. Pour réparer cette anomalie, je pense qu’il faut agir en tenant compte de la psychologie collective et de ses ressorts.
Par quoi cela passe-t-il ?
Cela commence par renvoyer les hommes à leur propre lecture atavique de la relation femmes/hommes. Quand un homme interrompt une femme qui parle, il y a lieu de l’interroger sur ce qui fonde le fait de lui couper la parole. Oui, on peut se dire que l’inverse existe – mais ça, c’est botter en touche, c’est faire comme si quand une femme se fait couper la parole par un homme, ça ne résonnait pas avec les rapports de genre dans nos sociétés. Il se joue quelque chose qui nous dépasse, qui nous est transmis par héritage inconscient quand on supporte au quotidien que les hommes soient davantage écoutés et les femmes plus souvent interrompues.
Et ensuite ?
Ensuite, il faut offrir la sécurité. Je reprends l’exemple des prises de parole : quand vous avez l’habitude, en tant que femme, de voir des femmes se faire interrompre, voire de vous faire interrompre vous-même, vous ne prenez pas la parole avec la même assurance. Cela vaut pour tout ce qui, implicitement, met les femmes en position de douter de leur place, de leur légitimité, de l’attention qu’elles méritent. Ce doute est stérilisant. Si l’on veut que les femmes s’en défassent, il faut montrer que celles qui sont aux responsabilités ont toute légitimité.
Ce qui me fait en venir à un troisième point. Il faut que les femmes se sentent protégées par la présence de femmes au-dessus d’elles. Pas parce que ces femmes devraient les protéger au nom d’une solidarité entre femmes, mais parce que le fait qu’il y ait des femmes aux fonctions de leadership et qu’elles soient respectées est un signal réassurant (et non pas rassurant) pour toutes les femmes de l’entreprise. La parité a ce rôle à jouer : donner le signe à toute l’organisation que ce qui est normal, c’est que les femmes soient pleinement reconnues dans leur fonction et dans leurs compétences et qu’elles peuvent agir.
Mais le sexisme, toujours prégnant dans nos inconscients et s’exprimant encore dans le quotidien ne crée-t-il pas des barrières intermédiaires entre le signal de parité et l’impression de sécurité ?
C’est là c’est mon quatrième point : tolérance zéro face au sexisme ! On me dit « je ne veux pas être dirigé par une femme », eh bien, ok, vous ne le serez pas puisque vous ne travaillerez plus ici. Quand il y a des cas de harcèlement sexuel, pas la peine de débattre à l’infini, c’est simple : Non, c’est non ! Une fois qu’on a dit cela, on sait que le problème se situe aussi dans le fait que les victimes d’agissements sexistes et de harcèlement sexuel gardent le silence. Ce que ça nous indique avant tout, c’est qu’elles ne nous font pas confiance. Notre problème, c’est donc celui-ci : renforcer la confiance, agir de façon à ce que toute personne qui est atteinte dans sa dignité par des propos ou des actes sexistes ou relevant du harcèlement sexuel se sache autorisée à secouer l’omerta et sache qu’elle sera entendue.