Diella

Diella est-elle la femme idéale ?

Une femme en particulier a beaucoup fait parler d’elle ces dernières semaines. Il ne s’agit pas de Claudia Sheinbaum, présidente du Mexique, devenue le mois dernier la première femme en 215 ans à prononcer le traditionnel "cri de l'Indépendance." Ni de Capucine Treffot, skipper pour la transatlantique qui permettra à 6 femmes activistes de se rendre à la COP 30 au Brésil sans avion le mois prochain. Non, la femme dont il est question aujourd’hui ne mange ou ne dort pas. Elle s'appelle Diella, et c’est une intelligence artificielle fraîchement devenue ministre chargée des marchés publics en Albanie.

C’est une première mondiale. En “nommant” Diella comme ministre le 11 septembre 2025, l’objectif affiché du premier ministre albanais, Edi Rama, est de favoriser l’impartialité lors de l’attribution des marchés publics. Une décision notamment poussée par le contexte de forte corruption dans le pays. Mais Diella n’est pas une simple technologie permettant en théorie de prendre de meilleures décisions :  c’est aussi un visage, un corps et une voix.  

L’exemple de Diella pose alors la question de la personnification des IA, le plus souvent représentées comme des femmes. Aussi, les IA féminines sont-elles des exemples à suivre pour les femmes de chair et d’os ? Diella est-elle vraiment la femme idéale ? Décryptage et mise en perspective avec la réalité de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes aujourd’hui.  

La femme idéale est lisse

Le principal trait de caractère de Diella est d’être impartial. Mais estimer qu’elle est infaillible n’est en réalité pas compatible avec le mode de fonctionnement d’une IA. Difficile en effet, de construire une IA exempte de biais. Isabelle Collet, enseignante-chercheuse à l’université de Genèse l’expliquait déjà dans un rapport datant de 2018 :  

  • L’apprentissage des stéréotypes par ces technologiques puisque les IA sont alimentées “par des milliards de données issues de nos cultures, elles intègrent et reproduisent des représentations historiques discriminatoires”.  
  • De ce fait, la discrimination dans l’aide à la décision (octroie de prêt, embauches etc…) :  
  • Le manque de diversité dans les métiers du numérique impliquant des biais plus importants dans la conception même des systèmes.  

… et sans émotions

Pour aider à l’impartialité, Diella ne laisse pas transparaître d’émotions et elle est douce dans ses prises de parole. Ça tombe bien les émotions des femmes auraient tendance à déranger. Enfin, certaines émotions dérangent chez les femmes, et d’autres chez les hommes.  

Et l’étude de Brescoll et Uhlmann (2008), bien qu’ancienne, pose des bases toujours d’actualité. Au travail, la colère des femmes est attribuée à des causes “internes” (ex : elle est trop émotive) alors que celle des hommes est expliquée par des causes “externes” (ex : quelqu’un a mal fait son travail). La colère des hommes fait partie des caractéristiques attendues socialement, alors que celle des femmes dénote de l’impératif de la douceur exigé implicitement ou non des femmes au travail. L’expression de la colère vient en même temps percuter le stéréotype selon lequel les femmes seraient régulièrement en proie à des émotions qui les dépassent. Et Diella semble l’avoir bien compris. 

La femme idéale est une femme qu’on ne paie pas

A temps de travail égal et poste égal, l’écart de salaire entre hommes et femmes est d’environ 4%. Mais, doit-on le rappeler, les inégalités salariales femmes-hommes se jouent ailleurs. Sur-représentées dans des métiers moins valorisés économiquement, confrontées au plancher collant, au plafond de verre, ou encore au temps partiel subi… Il est difficile pour les femmes de gagner autant que leurs collègues masculins.  

Une chose est sûre, avec une IA, pas besoin de se poser la question de la juste rémunération. Diella ne risque pas de réclamer une augmentation lors de son entretien annuel. Pratique ! 

La femme idéale est docile

Diella ne sort pas de nulle part, son apparence et sa technologie ont été créées et elle a été paramétrée dans le but de répondre à des objectifs précis. Le cadre est posé, pas de place à la contestation ou même à la discussion ! 

Pourtant, c’est souvent grâce à des débats et des désaccords que des idées nouvelles émergent… et que des erreurs sont évitées. Laisser ne serait-ce que la possibilité du débat, est un principe démocratique dont l’entreprise ne peut pas se passer sans risquer d’avancer…sans personne à bord ! 

La femme idéale répond aux normes physiques

À première vue, Diella semble correspondre aux normes de beauté. Cette observation peut sembler anodine mais ne l’est pas tant quand on sait que, les discriminations liées à l’apparence touchent d’autant plus les femmes.  

Dans une étude du Défenseur des droits, 8% des chômeurs interrogés affirmaient avoir été discriminés à l’embauche en raison de leur physique. Ces déclarations étaient deux fois plus présentes chez les chômeuses, et ce indépendamment d’autres caractéristiques comme l’âge, le style vestimentaire, le poids ou le niveau d’étude.  

Conclusion

Attention, ne prêtons pas de mauvaise intention au premier ministre albanais, qui a, en parallèle, nommé 7 femmes dans son gouvernement qui compte 17 ministres, lui compris. La mixité y est donc bel et bien respectée et chacune d’entre elle est bel et bien rémunérée pour l’exercice de son métier. Mais le cas de Diella peut inquiéter sur le rapport que notre société entretient aux femmes et à ce qu’elles devraient incarner. Car à force de projeter une image trop lissée, on risque de moins en moins supporter la réalité. Ainsi l’IA et les usages que nous en faisons en tant que société impliquent même des questions d’ordre anthropologique. À commencer par ce qui définit notre humanité ? 

Peut-être alors n’est-ce pas une si bonne idée de nous auto-déposséder de ce que nous savons pourtant faire de mieux : douter. Notre arme fatale nous évitant (parfois) de faire des erreurs, celle qui nous pousse à poser des questions, à étoffer nos opinions et à nous lier les uns aux autres. Alors avoir recourt à l’IA pourquoi pas ? Mais comme le demande, dans sa tribune au Monde le professeur Jean-Gabriel Ganascia :  “En quoi une IA serait-elle plus intègre qu’un humain ?” 

 

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